4.

Pendant que nos héros du monde physique se retrouvent en but à un conflit violent, leurs alter egos du monde virtuel ne sont pas en reste : Dark Coachinot a envoyé des requêtes de clôture des pages Onlyfans de tous les opposants politique à Richy Flush, pour se retrouver confronté à des milliers d’attaques DDOS sans parler d’autres abordages smurf, agressions ping of death, assauts MitM, raids de mot de passe, injections SQL et bourrages d’identifiants.

Rapidement, il comprend que ses adversaires sont guidés par une entité redoutable, sans doute aussi puissante pour lui – mais quelque chose l’intrigue : comment font-ils pour se coordonner sans qu’il parvienne à en repérer la trace sur aucun des réseaux qu’il surveille ? Se jetant furieusement dans la bataille, il jette aux trousses de ses poursuivants ses vers géants de silicium qui creusent des galeries dans les teraoctets de données pour retourner à la source de la résistance, dévorant sans même y penser les milliers d’images pornographiques qui leur sont opposées pour les ralentir.

Le secret que Dark Coachinot voudrait bien éventer tourne à plein régime. À chaque nouvelle reconfiguration du champ de bataille, Onlyfax qui observe les choses de loin sans se rendre visible déclenche des centaines d’appareils téléphoniques de l’ancien temps pour envoyer chez de vieux pervers sous équipés les nouvelles instructions pour contrecarrer les plans de l’infâme Coachinot.

Quand les vers surviennent, il envoie le fax suivant : « Faites-leur une proposition qu’ils ne pourront pas refuser. »

La résistance s’organise

Les pervers passent le message aux travailleur.se.s qui se sont installés à la bonne franquette dans leurs cuisines ou leurs salons ou leurs salles de bain avec des ordinateurs connectés aux réseaux et balancent leurs munitions avec enthousiasme.

Que veulent les vers ? Des images de vers nus, de vers avec des soutiens-gorges, de vers entre eux, du film « Two worms, one cup ». Et ça fonctionne ! Au bout de quelques secondes, la meute lancée à leur poursuite ralentit sa progression, alertée voire émoustillée par ce qui se produit dans son champ de vision.

Des images du film Two Worms, One Cup

5.

Tony est enfin parvenu au sommet de la colline, depuis lequel, s’il se retournait, il pourrait avoir une vue imprenable sur la folie qui ravage la ville. Mais il a le regard fixé sur la cabane en face de lui, censée abritée le dernier représentant des esprits loufoques affirmant qu’un gardien secret du DUERP existe bel et bien. Même si c’est la première fois qu’il vient jusqu’ici, cette cabane lui dit quelque chose, tout comme la fumée d’encens qui appesantit son atmosphère quand il ouvre sa porte. Ce n’est qu’en voyant son occupant, assis en tailleur au fond de la pièce, qu’il s’exclame :

« Encore vous.

– Et oui.

– Vous viviez aux docks la dernière fois qu’on s’est vus.

– Je vis là-bas comme je vis dans de nombreux domaines.

– Mais vous n’étiez pas mort ? Vaincu dans un combat de développement ?

– Personne ne peut vraiment vaincre la philosophie japonaise. Je vous propose d’entrer dans le vif du sujet. »

Tony hoche la tête, convaincu de couper au plus court.

« Je viens pour le DUERP.

– Je suis à jour, le principal risque est lié aux incendies…

– Laissez tomber. On a poussé cette confusion jusqu’à son extrême limite. Maintenant il me faut le développement ultime.

– Ah ! Ce DUERP-là. Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

– Pardon ?

– C’est une simple légende. Peut-être même qu’il n’a jamais existé.

– Mais vous faites partie de ceux qui disent qu’une société secrète s’arrange pour le maintenir hors de portée de l’humanité avant qu’elle ne soit prête.

– Et l’est-elle ? Prête ?

– Non mais si on attend qu’elle soit prête, on a qu’à faire autre chose alors.

– Très bien, laissez-moi regarder mon agenda. »

Rico Kawasaki est moins en forme depuis qu’on lui a pris son quickening

Alors que la discussion s’enfonce dans l’absurdité, Tony sent la colère monter en lui. Cette colère le saisit et commence à envahir la pièce, dispersant la fumée d’encens pour éclaircir l’atmosphère. Le visage de Rico Kawasaki est figé dans une expression d’intense surprise, tandis que la colère de Tony ouvre les fenêtres pour aérer, passe un coup de balai et déplace quelques meubles pour améliorer le feng shui de la pièce.

« Mon dieu, il a le marikondisme. » (Le marikondisme est l’équivalent pour le développement de soi du shining pour le développement des capacités de survie dans l’univers de Stephen King). Rico se prosterne en extase devant le miracle. « Toute ma vie, j’ai attendu ce moment. Tu es prêt. Je peux te révéler le secret. »

Rico se penche pour murmurer une phrase à l’oreille de notre héros.

Tony s’exclame alors : « Ah bon, c’est juste ça ?

– Ça, et aussi l’arme secrète contenue dans ce contenant étanche de laboratoire », lui répond Rico en lui tendant une sorte de sablier renforcé par une cage rigide sur son pourtour.

Moderna Jones a arrêté Tony alors qu’il s’apprêtait à quitter la ville.

« Qu’est-ce que tu fais ?

– Je quitte la ville.

– Sans te battre pour améliorer la vie de tes semblables.

– Vous ne comprendriez pas.

– Tu es un lâche.

– C’est faux !

– Pour toi, tout se vaut, n’est-ce pas ? La santé par les plantes ou le yoga des saisons, une thérapie cognitive ou la pensée positive ? Une vie libre ou un régime fasciste ?

– Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

– Montre-leur.

– Vous n’êtes pas prêts !

– Ce ne sont que des excuses ! »

Entre eux, la rage a une composante de désir. Tony, menacé par la crise de la quarantaine depuis qu’il a vieilli prématurément, doit faire un effort sur lui-même pour se rappeler de Gabriella. Ce faisant, il réalise à quel point tout est fugace en ce monde. Il comprend alors que ses hésitations n’ont pas de sens et qu’il ne peut soustraire sa découverte à ses semblables, et tant pis pour les conséquences.

Même durant les répétitions, Tony avait du mal à résister au charme de Moderna Jones

6.

La bataille fait maintenant rage depuis des jours. Chaque camp compte ses morts et ses mort.e.s, que ce soit dans le réel ou sur les réseaux. L’équilibre des forces a cependant basculé depuis que Dark Coachinot a compris à qui il avait affaire. Cette enfoirée de Chillax. Qui avait maintenant changé de nom puisque de toute façon elle n’était l’enfant de personne (bien sûr, il ne percevait pas l’ironie de cette réflexion alors qu’il avait lui-même changé de nom deux fois déjà pour des raisons infantiles/commerciales, les deux se confondant bien souvent jusqu’à l’indistinguable). Sa prise de contrôle sur les lignes téléphoniques a drastiquement limité les capacités de son adversaire à organiser ses défenses. La traque va bientôt s’achever. Dark Coachinot a revêtu sa plus belle suite robotique et s’avance sur le champ de bataille, au centre de la ville, pour mettre un point final à cette mascarade.

Onlyfax a réuni elle aussi ses fidèles pour se lancer dans le dernier assaut désespéré contre son ennemie, l’héritière manifeste, qui n’a reculé devant rien pour asseoir son pouvoir. Elle ne regrette rien de cette lutte désespérée, durant laquelle elle s’est fait de nombreux.ses ami.e.s et a semé les points médians qui feront pousser les points d’exclamation médians, pour recouvrir d’une forêt médiane les errements moraux du passé.

                  Les troupes de Dark Coachinot et d’Onlyfax se préparent au combat sous le patronnage de leurs cheffes respectives

 

La place centrale de la ville est envahie par tous les combattants et combattant.e.s qui se préparent à la mêlée avec appréhension. Les travailleur.se.s du sexe se savent en infériorité, promis.es à un massacre, mais s’élancent cependant fièrement en criant « Liberté ! » comme dans un film de Mel Gibson, mais en beaucoup plus queer, et de toute façon il n’a pas non plus le monopole.

Mais soudain, la clameur puissante d’un cor fend l’air et suspend la charge des deux armées. Tony, qui remercie le ciel d’avoir pris l’option cor de chasse deuxième langue au collège, lève son bras libre en l’air pour retenir l’attention de tous. Le silence se fait en attendant qu’il parle.

« J’ai pu mettre la main sur le DUERP, le seul, l’unique. Et je veux zéro blague sur les risques en entreprise. Et le message qui m’a été transmis est très clair. Aucun de vous n’a raison. Aucun de vous ne possède le bon développement. Et je vais vous dire à mon tour ce que l’on m’a dévoilé, et vous allez être incrédules, mais voici :

« Il n’y a pas de développement personnel sans développement collectif. »

« Quoi ? C’est nul ! » s’exclame une voix qui pourrait bien être celle de Dark Coachinot.

« Je savais que vous diriez ça », répond Tony avec sang-froid, et alors que les combattants se préparent à reprendre leur course pour tomber violemment dans les bras les uns des autres, il dévisse avec difficulté le bouchon sécurisé de son sablier renforcé. S’en échappe une entité blanchâtre un brin flippante qui s’élance en prenant appui sur Tony à mi-hauteur dans le ciel. « Je vous présente Jikokeihatsu, mais vous pouvez l’appeler Jiko, l’IA ultime de développement personnel. »

Alors que sa fusion s’achève avec Tony, dont les yeux révulsés laissent deviner un niveau de développement proprement incensé, Jiko n’en finit plus de se déployer, étendant ses ailes tel un ange pour protéger tous les humain.e.s présents sur le champ de bataille, qui l’observent, médusé.e.s, attendant qu’elle se prononce.

Jiko se déploie dans le ciel et fait fondre les doigts de Tony

« Aimez-vous statistiquement les uns les autres », finit-elle par dire d’une voix infiniment douce, provoquant immédiatement un changement perceptible dans toute l’assistance, que l’on s’effondre en pleurs, en prière à genoux, qu’on arrache ses vêtements ou qu’on s’enfuit en courant pour fuir la sainte révélation statistique. Dark Coachinot est de ces derniers, qui quittent le théâtre d’affrontement dans l’épouvante, ébranlée dans ses convictions les plus profondes.

(à suivre ?)