Il y a le bruit et l’agitation, tout ce bruit et toute cette agitation, mais l’épaisse moquette les absorbe et on progresse dans son propre couloir de silence, comme un vieil homme en train d’avoir une attaque, pas vraiment conscient, pas vraiment décidé, jusqu’au prochain signe.

La mort encapsulée. Au sein de chaque néon qui tend la main pour dissimuler le tour. L’obscurité repoussée aux bordures, dense comme une malédiction. Au commencement, elle était, elle, l’obscurité.

Aller jusqu’à l’épuisement le plus abject avant de trouver le sommeil, un sommeil agité, de frontière, où les deux mondes se guettent avec effroi. Ils ne communiquent plus.

Sortir, un petit matin, être pulvérisé par le bleu de ce ciel. L’immensité s’ouvre et les dents acérées des montagnes au lointain dévore l’œil qui se tient comme une biche apeurée.

Un territoire halogène – on n’est jamais aussi loin de la chair des étoiles qu’on ne le pense.

Il n’y a que 3 choses contenues dans cette immensité : le grand galop, le petit ruisseau besogneux, la mort. Le chemin entre elles pulse au rythme de la peur.

Je marche sur la moquette et tout cela est loin de moi. L’état le plus proche du sommeil. C’est cela que l’on achète à grands frais. Ça ne fait rien – c’est aussi bien. Majordome murmurant dans les couloirs de la vie, le pouls pris à travers la toile du costume. Assis à la table où les cartes sont distribuées, le destin est discuté calmement entre les convives,

une ambiance amicale entre prédateurs.

Ils flottent dans le rêve – soudain un bruit de crécelles comme un coup de couteau et les regards se concentrent sur les acteurs et les statues.

Le moment important est celui où l’on dégaine – le rêve est un étui. Les machines appellent de leurs lumières clignotantes – elles sont comme des mères cherchant à rassurer les dormeurs.

Dehors, la poussière, les clôtures abritant des terrains vides, les motels aux orbites crevés, le silence de mort du matin. Une femme marche en parlant toute seule. Elle s’arrête et se tourne pour parler à une clôture. Sa détresse est perceptible. Sa détresse a la forme des trottoirs éventrés. Elle marchera jusqu’à la limite du désert, elle dépassera cette limite, elle disparaîtra entre les cactus. Elle disparaîtra dans un espace vide. Il n’y a pas d’espace vide, il y a des portes vers l’inconnu.

Les clochards sont assis par terre à côté de leurs affaires regroupées dans des caddies ou dans des sacs aux poignées attachées serrées. Ils occupent les espaces près des portes. Certains s’aventurent sur le Strip et préviennent les passants qui ne les entendent pas : méfiez-vous des portes. La musique est crachée par les haut-parleurs pour couvrir leurs avertissements.

Eux ne rient pas, ne sourient pas. Ils s’adressent aux gens en trajectoires parallèles – aucun point de rencontre.

Les filles : vous voulez être pris en photo avec nous ?

Les hommes avec des cartes affichant des filles aux sexes solaires aveuglants

Les touristes qui doivent avancer dans les travées – ils se sont préparés à ce qui les attend mais rien n’y fait, ils sont déchiquetés et leur valeur marchande réduite à néant, recrachés comme des noyaux bariolés au bout des galeries – des tunnels commerciaux.

Le seul moyen de sortir du rêve : la douleur. Un autre type de marche.

Payés 3 pour 2. Jackpot progressif. Probablement le meilleur spectacle. Le plus grand. Le meilleur taux de gain. Le ciel brûle dans Downtown et les voitures de police patrouillent dans le vide sans discontinuer. Calme de façade devant les boîtes de nuit, odeur verte flottant autour des groupes faussement informels.

Il avance lentement sur son fauteuil roulant électrique, il est immense et s’étale sur les côtés de l’engin. Vient sa compagne, derrière, dans un autre fauteuil. Ils s’arrêtent à la file pour discuter avec ceux qu’ils croisent, et dans leurs yeux, il y a la tranquille force de la patience sans objet. Ils ne savent pas ce qu’ils attendent – s’ils l’attendent.

Aux animaux, il suffit du contact pour être rassurés. Aux humains, rien ne suffit. Le contact les plonge dans le doute, son idée dans l’effroi. La méfiance est tout ce qui leur reste. Et plus ils se jettent dans le simulacre, plus elle se dévoile pour ce qu’elle est.

La magie est une histoire de technique, de travail. Toujours représentée comme facile, un petit coup de baguette, on s’envole dans les airs – non. La plupart pensent que c’est un raccourci, et ce quiproquo nécessite ensuite de faire comme ci. (La magie est une transformation qu’il faut amener).

Préambule : il faut retourner l’anneau de Gygès. La métaphore est traitée à l’envers. Il ne s’agit pas de déterminer une nature humaine, mais de comprendre ce qui est nécessaire à l’humain : ne pas se laisser aller au désir pour conserver le rapport au monde.

Dans le cas contraire, il finit par se définir entièrement par ce désir, qui fait comme la pointe du diamant sur un disque. Plus petite surface de contact.

Le désir ne s’arrête pas à l’humain, pas à celui qui l’exprime. Il est un cheval fou, un cheval malade, qui galope immédiatement vers l’abîme.

Il a absolument besoin d’être comblé, comme une tombe.

Le désir dévore et ne s’intéresse qu’à ce qu’il consomme. Son monde est vide et les copeaux qu’il recrache ne racontent pas d’histoire.

Vegas est construite sur ce modèle. Deux colonnes de désir industriel arrangées en croix, et des copeaux tout autour.

Il y a ceux qui travaillent à la frontière – qui travaillent à satisfaire l’industrie et à fabriquer les copeaux, ils ont tout vu, ils sont immunisés et d’une patience d’airain, et considèrent avec bienveillance ceux qui viennent ici achever leurs désirs. Un abattoir à désir.

(Les visiteurs espèrent trouver une formule magique pour s’en sortir, peu auront cette chance.)

Il y a ceux qui travaillent à la frontière – qui travaillent à satisfaire l’industrie et à fabriquer les copeaux, ils ont tout vu, ils sont immunisés et d’une patience d’airain, et considèrent avec bienveillance ceux qui viennent ici achever leurs désirs. Un abattoir à désir.

(Les visiteurs espèrent trouver une formule magique pour s’en sortir, peu auront cette chance.)

(…)

À Vegas, il faut toujours compter les points, attendre le dernier dé, le dernier panier, le dernier touchdown, la dernière carte, le dernier rebond de la boule avant de crier victoire – l’Enfer est pavé de mathématiques et ils nous parlent des machines de demain.

(…)

(Désirer activement l’Enfer, n’est-ce pas le plus bel hommage à cette putain de statue de cheval givré qui dirige nos vies ?)

Howdy.

How are you today ?

Un sourire fatigué et chaleureux. Discuter avec les fish qui acceptent facilement leur état – ils sont venus présenter leurs offrandes au Dieu de la Chance et de l’Assouvissement. Ils prennent leur excitation pour une révélation. Autour de la table, on s’intéresse à eux, prêts à donner la mort avec empathie.

Sacrifice accepté.

(…)

Il n’est pas possible de détruire ni l’anneau, ni le diamant, ni la machine dévorante. On crée une image rassurante autour et l’on s’épie en espérant maintenir l’équilibre par la méfiance. Bien sûr, tout intervient par après le passage du désir roi et c’est comme d’écrire des messages avec les copeaux – qui les lira ? (ceux qui le pourraient sont réduits à néant, trop tard pour les prévenir).

(…)

(Images à venir !)