Le manège enchanté

La cinétique est la science du mouvement. Elle permet par exemple d’expliquer mathématiquement pourquoi un livreur Amazon ne peut s’arrêter pour aller aux toilettes, ou encore le nombre de coups de fouet à donner à une société X pour qu’elle garde sa vitesse acquise Y.

Donnez-moi une pente, donnez-moi de l’inertie, et je vous dirai comment paniquer efficacement pour la descendre encore plus vite.

Sa discipline jumelle, l’arrêtologie, bien que plus passionnante, ne soulève pas la même fascination. Peut-être parce qu’elle est synonyme de fin du rollercoaster. Et presque autant que les légumes, l’arrêt résonne auprès du plus grand nombre comme synonyme de mort.

La puissance du freinage

Pourtant, quiconque a déjà conduit une Twingo un peu vite sur le périph sait à quel point la capacité de freiner a plus de chance de vous maintenir en vie que celle d’accélérer. Dès le début de la fantastique odyssée de l’industrie automobile, les constructeurs en font d’ailleurs un argument de vente.

Ainsi, Henry Ford dit à propos de son modèle T : « Contrairement au modèle S, il peut aussi s’arrêter, ce qui en fait la première voiture à usage multiple de l’industrie. »

Les freins sont tellement importants sur les véhicules qu’ils peuvent être jusqu’à 7 fois plus puissants que le moteur. Leur température peut monter jusqu’à 800° quand ils sont actionnés, d’où qu’on ait rapidement renoncé à les fabriquer en paille de canapé lit recyclable.

Emballement

Pour autant, dans certains secteurs, les bienfaits du freinage ont été oubliés, du fait de l’ivresse des grands espaces : lorsque la vue porte trop loin, parce que l’enthousiasme est trop fort, il arrive qu’on ne sache ni pourquoi ni même comment s’arrêter, puisqu’on a toute cette plaine à dévorer. Cela se perçoit parfois à une certaine fixité dans le regard, une raideur dans la nuque, et à une volonté forcenée de retirer toute forme d’obstacle à la course en avant.

Quels sont alors les risques ? Si le crash vient tout de suite en tête, il demande l’arrivée d’un mur. En réalité, d’autres options risquent de se présenter plus rapidement : la surchauffe, la panne, l’épuisement du carburant.

Si la Coordination nationale des psychogaragistes conseille d’effectuer régulièrement une révision de la courroie d’ambition et des niveaux de fluides corporels, elle ne s’attaque pas au cœur du problème : la vacuité du mouvement.

Se réapproprier les méthodes de l’industrie

Pour leur bien, mais surtout pour le nôtre, il est important de mettre au point des méthodes pour parvenir à ralentir les visionnaires qui nous promettent avec élan l’avènement d’un enfer à visage humain.

Heureusement, pour ce faire, il suffit simplement de retourner contre eux les prouesses technologiques qui ont émaillé le chemin du progrès, toujours pour notre plus grand bien. Voici une première liste non exhaustive des moyens à notre disposition :

1. Les mâchoires de frein

Prenons l’exemple du jeune Gerald (les prénoms des participants ont été changés pour éviter toute stigmatisation), dont les tendances accélérationnistes ont été la cause de bien des désillusions pour ses parents.

Adjoignons-lui un molosses monté à l’équerre sur chacune de ses jambes comme ceci :

Désormais, grâce à l’usage d’un simple sifflet à ultrason, au moindre emballement il est possible de ramener le jeune Gerald à la réalité en lui appliquant les mâchoires de frein baveuse sur les chevilles – ce qui lui indiquera qu’il n’est pas meilleur qu’un facteur.

2. Le brin d’arrêt

Gerald a appris à réfléchir en domptant sa passion. Mais qu’en est-il d’Emmanuel ? Emmanuel a tendance à voir tellement loin et à rêver tellement fort qu’il en perd parfois contact avec le sol et qu’il plane légèrement en élaborant des stratégies pour accélérer.

Pas de panique. L’inspiration nous viendra cette fois-ci du système utilisé sur les porte-avions pour alpaguer les fiers étalons du ciel. Équipons-le d’abord d’une crosse d’apontage, comme ceci :

Ensuite, grâce à un système de câble installé au travers des différentes rues où il pourrait se présenter (le fameux brin d’arrêt), nous pourrons ensuite l’alpaguer au passage pour le forcer à s’arrêter.

Attention cependant à bien monter le brin d’arrêt sur un dérouleur pour ne pas prendre le risque de le couper en deux à l’impact. Enfin bon, marquez-le sur votre liste des choses à faire et si vous oubliez tant pis.

3. Aérofreins et spoilers

Gabriel ? Jordan ? Je vous laisse choisir le prénom de notre dernier patient. Il y en a malheureusement pour qui le moteur s’emballe au-delà du raisonnable, voire du déraisonnable, parfois parce qu’il n’est plus connecté à la colonne de direction.

Ça part dans tous les sens, au gré du vent, et le voilà qui flotte dans le ciel en émettant des Tchou-Tchou réguliers, parce qu’il confond les trains et les avions.

Pour celui-ci, l’équipement sera installé sur les bras et les jambes, comme ceci :

 

Au moindre signe d’hallucination, il faudra déployer les ailettes des aérofreins, qui en créant de la friction avec l’air, feront perdre de la vitesse à son bel appareil. Si vous voyiez cependant qu’il en venait à péter complètement les plombs, il vous restera encore la possibilité de redresser les ailettes à la verticale (les fameux spoilers) pour lui faire perdre toute sa portance et le projeter soudainement vers le sol.

Comme toujours, faites attention, ça peut être dangereux. Ou au moins, laissez-vous une note pour envisager de faire attention, que vous pourrez reconsulter en cas d’accident.

ILLUSTRATIONS DE PONCH !!!